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Qu’est-ce que l’économétrie?

Posted by Said Zenasni lundi 6 août 2012 0 commentaires
LES ÉCONOMISTES élaborent des modèles pour expliquer les relations récurrentes. Leurs modèles relient une variable économique ou plus à d’autres variables économiques (voir «Qu’est-ce qu’un modèle économique», F&D, juin 2011). Par exemple, ils relient le montant que les individus dépensent en biens de consommation au revenu disponible et au patrimoine, et s’attendent à ce que la consommation augmente avec le revenu disponible et le patrimoine (autrement dit, que la relation soit positive).

Il existe souvent plusieurs modèles capables d’expliquer la même relation récurrente, appelée régularité empirique, mais il y en a peu qui fournissent des indications utiles sur l’ampleur de la relation. C’est pourtant ce qui compte le plus pour les responsables politiques. Quand par exemple les banques centrales fixent la politique monétaire, elles doivent connaître l’effet probable d’un changement des taux d’intérêt directeurs sur l’inflation et le taux de croissance. C’est dans des cas comme celui-là que les économistes ont recours à l’économétrie.

Cette discipline utilise la théorie économique, les mathématiques et l’inférence statistique pour quantifier les phénomènes économiques. Autrement dit, elle transforme les modèles économiques théoriques en outils pratiques pour la décision.

L’objectif de l’économétrie consiste à convertir les propositions qualitatives (comme «la relation entre deux variables ou plus est positive») en propositions quantitatives (comme «la dépense de consommation augmente de 95 cents pour toute augmentation d’un dollar du revenu disponible»). Les économétriciens transforment les modèles élaborés par les théoriciens en versions qui peuvent donner lieu à estimation. Comme le disent Stock et Watson (2007), «les méthodes économétriques sont utilisées dans de nombreuses branches de l’économie, en particulier la finance, l’économie du travail, la macroéconomie, la microéconomie et la politique économique». On prend rarement des décisions de politique économique sans une analyse économétrique pour évaluer leur impact.

Une tâche redoutable

 À cause de certaines caractéristiques des données économiques, il est diffi cile de quantifi er les modèles. En eff et, contrairement aux chercheurs en science physique, les économétriciens peuvent rarement mener des expériences contrôlées dans lesquelles on change une seule variable et l’on mesure la réponse du sujet à cette variable. Les économétriciens estiment les relations à partir de données générées par un système complexe d’équations reliées, dans lequel toutes les variables peuvent changer en même temps. Cela soulève la question de savoir siles données fournissent assez d’informations pour identifier les inconnues du modèle. On peut diviser l’économétrie en deux branches : théorique et appliquée.

L’économétrie théorique examine les propriétés des tests et procédures statistiques existants pour estimer les inconnues du modèle. Elle cherche aussi à élaborer de nouvelles procédures statistiques qui sont valables (ou robustes) malgré les particularités des données économiques, comme leur tendance à changer simultanément. L’économétrie théorique se fonde sur les mathématiques, la statistique théorique et les méthodes numériques pour prouver que les nouvelles procédures sont capables de produire des inférences correctes. En revanche, l’économétrie appliquée utilise les techniques élaborées par les théoriciens pour traduire les propositions économiques qualitatives en versions quantitatives. Comme les spécialistes d’économétrie appliquée sont plus proches des données, ils constatent souvent — et en informent leurs collègues théoriciens — que les données ont des attributs qui posent des problèmes par rapport aux techniques d’estimation existantes. Par exemple, l’économétricien peut découvrir que la variance des données (combien les valeurs individuelles d’une série diffèrent de la moyenne globale) se modifie avec le temps. Le principal outil de l’économétrie est la régression linéaire multiple, qui fournit un moyen formel d’estimer comment le changement d’une variable économique, la variable explicative, affecte la variable que l’on cherche à expliquer, la variable dépendante, en prenant en compte l’impact de tous les autres déterminants de la variable dépendante. Cette précision est importante parce que la régression cherche à estimer l’impact marginal d’une variable explicative particulière après avoir pris en compte l’impact des autres variables explicatives du modèle (voir «Régressions : pourquoi elles obsèdent les économistes», F&D, mars 2006). Par exemple, le modèle peut chercher à isoler l’effet d’une hausse des impôts de 1 point de pourcentage sur les dépenses moyennes de consommation des ménages, en gardant constants les autres déterminants de la consommation, comme le revenu avant impôt, le patrimoine et les taux d’intérêt.

Quatre étapes

La méthodologie de l’économétrie est assez simple. La première étape consiste à poser une théorie ou une hypothèse pour expliquer les données que l’on étudie. On spécifie les variables explicatives du modèle et l’on précise le signe et/ ou l’ampleur de la relation entre chaque variable explicative et la variable dépendante. À ce stade, l’économétrie appliquée s’appuie beaucoup sur la théorie économique pour formuler une hypothèse. Par exemple, un principe en économie internationale stipule que les prix dans différents pays aux frontières ouvertes évoluent ensemble, en tenant compte des fluctuations du taux de change nominal (la parité de pouvoir d’achat). La relation empirique entre prix intérieurs et extérieurs (après cet ajustement) doit donc être positive et ils doivent évoluer à peu près au même rythme.

La deuxième étape est la spécification d’un modèle statistique qui capte l’essence de la théorie que l’on teste. Le modèle propose une relation mathématique spécifique entre la variable dépendante et les variables explicatives, sur lesquelles malheureusement la théorie économique reste généralement muette. La méthode de
loin la plus répandue consiste à assumer la linéarité, à savoir que tout changement d’une variable explicative produira toujours le même changement de la variable dépendante. Comme il est impossible de prendre en compte toutes les influences sur la variable dépendante, on ajoute une variable fourre-tout pour compléter la spécification. Elle a pour but de représenter tous les déterminants de la variable dépendante dont on ne peut pas rendre compte, soit parce que les données sont trop complexes, soit parce qu’elles manquent. Les économistes supposent généralement que ce terme «d’erreur» tend en moyenne vers zéro et est imprévisible, par simple souci de cohérence avec la prémisse que le modèle statistique prend en compte toutes les
variables explicatives importantes. La troisième étape comporte l’utilisation d’une procédure statistique appropriée et d’un ensemble de logiciels économétriques pour estimer les paramètres inconnus (coefficients) du modèle à partir des données économiques. C’est souvent la partie la plus facile de l’analyse, grâce à l’existence de données facilement disponibles et d’excellents logiciels économétriques. Toutefois, le fameux principe GIGO (à données erronées, résultats erronés) s’applique aussi à l’économétrie. Ce n’est pas parce que l’on peut calculer une chose qu’il est économiquement raisonnable de le faire. La quatrième étape est de loin la plus importante : le test du bon sens. Le modèle estimé est-il économiquement sensé : fournit-il des prédictions économiques convaincantes? Par exemple, est-ce que les signes des paramètres estimés qui relient la variable dépendante aux variables explicatives concordent avec les prédictions de la théorie économique sous-jacente? (Ainsi, dans le cas de la consommation des ménages, la validité du modèle statistique serait mise en question s’il prévoyait une baisse de la consommation quand le revenu augmente.) Si les paramètres estimés ne sont pas logiques, comment l’économétricien doit-il modifier le modèle pour obtenir des estimations sensées? Est-ce qu’une estimation plus sensée implique un effet économiquement significatif? Cette étape met particulièrement à l’épreuve la compétence et l’expérience des praticiens de l’économétrie appliquée.

Tester l’hypothèse

Le principal outil de cette quatrième étape est le test d’hypothèse, procédure statistique formelle dans laquelle le chercheur fait une proposition spécifique sur la valeur d’un paramètre économique, et un test statistique détermine si le paramètre ainsi estimé concorde avec cette hypothèse. Sinon, le chercheur doit, soit rejeter l’hypothèse, soit recommencer en apportant de nouvelles spécifications au modèle. Si les quatre étapes se passent bien, il en résulte un outil que l’on peut utiliser pour évaluer la validité empirique d’un modèle économique abstrait. On peut aussi se servir du modèle empirique pour élaborer un moyen de prévoir la variable dépendante, ce qui peut aider les autorités à prendre des décisions sur les changements à apporter à la politique monétaire et/ou budgétaire afin de maintenir l’économie en équilibre. Les étudiants en économétrie sont souvent fascinés par la capacité des régressions linéaires multiples à estimer les relations économiques. Il faut ici rappeler trois principes fondamentaux de l’économétrie.
• Premièrement, la qualité des estimations des paramètres dépend de la validité du modèle économique sous-jacent.
• Deuxièmement, si l’on exclut une variable explicative pertinente, on aboutira vraisemblablement à une mauvaise estimation des paramètres.
• Troisièmement, même si l’économétricien identifie le processus de génération des données, les estimations des paramètres ont peu de chance d’être égales aux véritables valeurs des paramètres qui ont généré ces données. Il utilise néanmoins les estimations parce que, statistiquement parlant, elles vont se préciser à mesure que le nombre de données disponibles augmentera.
L’économétrie est conçue pour fournir en moyenne des prédictions exactes, mais seulement si elle s’appuie sur une science économique solide pour concevoir les spécifications du modèle empirique. Même si c’est une science, avec des règles et procédures bien établies pour adapter les modèles aux données économiques, dans la pratique l’économétrie est un art qui nécessite beaucoup de discernement pour obtenir des estimations qui soient utiles aux décisions politiques.


Sam Ouliaris est économiste principal à l’Institut du FMI.

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